27 novembre 2006

Le PER

Il y a PER et PER
Excellent article des Echos Samedi 25 novembre 2006 :


Le rapport entre le cours et le bénéfice d'une action - le fameux PER - doit être manié avec précaution. Plus que jamais compte tenu de l'évolution des marchés et de leur environnement.


Le ratio cours/bénéfices, le fameux PER (« price earnings ratio »), n'est décidément pas un outil comme les autres. Considéré comme l'épine dorsale de l'analyse financière, ce ratio élémentaire - il se contente de rapporter le cours aux bénéfices courants ou anticipés par action des sociétés cotées -, il se retrouve régulièrement pris au coeur des grands débats financiers.

Abandonné pendant la bulle technologique, malgré les protestations d'une poignée d'investisseurs qui y voyaient un signe tangible de dérive, son retour en force à l'automne 2001 sonnait le retour à la réalité. Au nom de ce même principe de réalité, une partie des gérants exhortent aujourd'hui les investisseurs à prendre leurs distances à l'égard de ce ratio. Craignant une bulle sur les matières premières et les financières, ils l'accusent d'être cette fois-ci le principal vecteur d'illusions, rappelant que le PER n'est pas pertinent pour évaluer des sociétés cycliques. Par essence, les bénéfices augmentent sensiblement lorsque ces secteurs tournent à plein régime, ce qui a pour effet de contracter leurs PER et de donner - abusivement - l'impression que les valorisations sont attrayantes.

Avec l'introduction des nouvelles normes comptables IFRS, le PER s'était aussi trouvé au centre des polémiques. Malgré une plus grande volatilité durant la phase de transition, ce ratio était - à terme - censé être le principal bénéficiaire de ces nouvelles normes, qui, en gommant les particularismes comptables, facilitait les comparaisons sur la base des PER. Actuellement, les professionnels de la gestion n'en sont pas moins partagés sur son impact. Dans le camp des sceptiques, Jérôme Lieury, gérant chez Louvre Gestion, considère que « les normes IFRS ont introduit une plus grande volatilité des résultats, avec en conséquence une plus grande dispersion des prévisions et des consensus, qui impacte les PER et les rendent moins fiables. Aussi réduisent-elles encore un peu plus leur usage aux seules sociétés dont les résultats et les marges sont stables ».

Si tous les gérants reconnaissent au PER le mérite de la simplicité pour valoriser l'avenir d'une société et la comparer à ses concurrents, ils ne lui en trouvent pas moins une multitude de défauts. « Entre autres, il ne rend pas compte de la structure financière », pointe Fabrice Théveneau, directeur général de la recherche actions chez Société Générale. « Par exemple, si une société s'endette pour racheter ses actions, le PER va mécaniquement baisser, donnant l'illusion que la valorisation est attrayante, bien que la qualité du bilan se soit dégradée. »

Alors comment en faire bon usage de ce ratio ? Comme l'explique Vincent Guenzi, responsable de la stratégie d'investissement chez Cholet-Dupont, « le PER reste un excellent instrument pour réaliser un premier tri, même s'il faut dans un deuxième temps l'évaluer au regard d'autres ratios et paramètres tels que la prime de risque. Entre autres, il met en évidence les plus fortes anomalies ou écarts avec le reste du marché. Rhodia, par exemple, se démarque nettement, avec un PER 2006 de 40 fois et de 11 fois selon le consensus. Cette valorisation implique que les investisseurs spéculent sur un redressement de ses résultats futurs et acceptent, en anticipation, de la payer plus chère ».



Outil de pilotage

Prenant le PER pour ce qu'il vaut, les professionnels de la gestion l'utilisent pour relativiser l'attrait des actions par rapport aux obligations, comparant - selon le modèle de la banque centrale américaine, la Fed - l'inverse du PER moyen des actions au rendement des obligations à 10 ans. D'après ce modèle, les marchés d'actions sont chers lorsque le PER est nettement inférieur au rendement des obligations et, inversement, attrayantes lorsque le PER est plus élevé. « Un PER moyen à 15 fois correspond à un niveau correct aujourd'hui, puisqu'il implique un rendement exigé des actions de 6,7 % (l'inverse du ratio cours/bénéfices) qui est attrayant par rapport aux obligations à 10 ans (actuellement à 3,7 %). Par extension, le PER peut servir d'outil de pilotage des portefeuilles. Dès lors que le PER moyen des portefeuilles dépasse 15 fois, il faut procéder à des ajustements et éventuellement prendre des bénéfices, et inversement lorsque le PER moyen descend sous cette barre des 15 fois. »

Mais le principal intérêt du PER est de servir de « mémoire » du marché. Comme le résume Jean-Luc Allain, gérant chez Trusteam Finance, « il s'agit de l'outil sur lequel les données historiques sont les plus complètes pour réaliser des comparaisons. Récemment, mon équipe et moi avons ainsi cherché l'ampleur de la contraction des multiples sur les dix dernières années à l'aide de ce ratio, en comparant les PER du SBF 120 en 1996-1997 avec les prévisions pour la période 2006-2007. Sans surprise, cet examen fait ressortir une revalorisation des sociétés holdings, en particulier d'Eurazeo et de Fimalac dont la décote a fortement baissé, et une contraction des multiples dans les cosmétiques, la pharmacie et la grande distribution. En revanche, ces comparaisons ont mis en évidence ce qui nous semble être des «anomalies» de valorisation dans l'assurance et au cas par cas dans les logiciels et dans les médias ».

Dans l'assurance, le PER moyen d'AXA se situait en effet à 18 fois en 1996-1997 contre 10,5 fois en 2006-2007, tandis que celui d'AGF tournait à 19 fois contre 11,8 fois sur les mêmes périodes. « Cette compression des multiples traduit une défiance du marché après les secousses de 2001 et 2002. Pourtant, la gestion des assureurs s'est nettement améliorée au cours des dernières années. Leurs ratios combinés sont globalement plus élevés et leur rentabilité s'est fortement améliorée grâce aux efforts de restructuration et de réduction des coûts. Aussi l'ampleur de ce «de-rating» ne me paraît pas justifié. »

Dans les logiciels, Jean-Luc Allain isole Dassault Systèmes, dont le PER moyen s'est réduit de 45 fois en 1996-1997 (soit avant les déformations de la bulle technologique) à 23 fois les prévisions 2006-2007, attribuant cette contraction aux mauvais souvenirs de l'an 2000.

Dans les médias, il met en évidence Publicis et SR Téléperformance, dont les PER moyens sont passés respectivement de 19 à 15,5 fois et de 21 à 15,5 fois. « Entre-temps, Publicis est devenu un acteur mondial, ce qui justifierait une prime plus substantielle. Mais le titre a été entraîné dans le sillage des médias, sans raison fondamentale, l'évolution des supports publicitaires devrait même renforcer le poids de Publicis dans son rôle de conseil. Des petites agences spécialisées ont certes pénétré le marché de l'Internet, mais Publicis dispose de ressources financières qui lui permettent, le cas échéant, de procéder à des acquisitions pour renforcer son offre dans ce segment. A ce niveau, le PER actuel donne un signal d'achat assez clair de Publicis. »


NATHALIE OLOF-ORS

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