29 avril 2007

L'endettement US et le dollar en perspective

Boursorama le 27/04/2007 10h50
Anton Brender : « Les capacités d’endettement des ménages sont saturées »
Avec 800 milliards de dollars de déficit extérieur courant, les Américains sont-ils assis sur une bombe à retardement ? Anton Brender, directeur des études économiques chez Dexia AM, écarte tout catastrophisme. Mais la capacité de résilience de l’économie américaine a atteint une limite. Si bien qu’en cas de nouveau choc pétrolier, l’airbag américain ne se gonflera plus.

Quelle est la configuration actuelle des déséquilibres financiers globaux ?

Anton Brender : On observe depuis la fin des années 90 une configuration très déséquilibrée des paiements internationaux. Les transferts d’épargne s’orientent vers les régions les plus développées, dotées de systèmes financiers capables d’absorber l’excédent d’épargne des pays émergents (Asie) et des pays producteurs de pétrole. Le Sud prête au Nord. Cette orientation des flux résulte de l’absence de canaux financiers permettant d’acheminer les capitaux vers les régions qui en manquent le plus. Ceci a conduit à une concentration de l’endettement sur un petit nombre de pays dont, essentiellement, les Etats-Unis. Ces derniers ont emprunté plus de 800 milliards de dollars en 2005 (6,4% du PIB) contre à peine plus de 100 milliards dix ans plus tôt. Le Japon a dégagé un excédent de 160 milliards de dollars, l’Asie émergente de 240 milliards et les pays exportateurs de pétrole de 350 milliards (OPEP et Russie).

En se finançant auprès du reste du monde, les Américains ont-ils mis en place un modèle puissant de croissance ?

A. B : Il faut voir ce système comme un élément de régulation de la demande et non comme un élément de soutien de la demande, moteur de croissance. Là où dans le monde se forment des pressions inflationnistes et un excès d’épargne, il faut qu’il y ait ailleurs un besoin d’emprunt. Les Etats-Unis ont assumé ce rôle en mettant en place des canaux qui permettent aussi bien d’accélérer l’endettement que de le freiner. Grâce à un système financier efficace, la baisse des taux directeurs de la banque centrale américaine a effectivement incité les ménages à s’endetter. De la sorte, les pressions déflationnistes de l’économie mondiale ont été absorbées grâce à l’endettement de quelques pays occidentaux (Etats-Unis, Australie, Nouvelle Zélande, Espagne. Ce type de mécanisme demande néanmoins une surveillance attentive.

Pourquoi la zone euro n’a t-elle pas pu non plus profiter de ces mécanismes d’endettement ?

A. B : Au niveau de la zone euro, il existe une relative faiblesse de l’intégration bancaire. L’unification financière s’est arrêtée au marché, celle de la banque de détail et des produits d’emprunts n’étant pas jugée prioritaire. Les petites entreprises locales et les ménages ne bénéficient pas de la concurrence entre les banques de détail européennes. Les conditions d’endettement (produits d’emprunt différents) et « l’envie de prêter » ne sont pas les mêmes. Par exemple, on remarque que la transmission de la baisse des taux de la BCE après 2000 a été faible et inégale selon les Etats européens. L’Espagne a nettement creusé son déficit alors que les pays scandinaves et l’Allemagne ont vu leur excédent s’accroître.

Jusqu’à quand les Etats-Unis pourront-ils continuer d’accumuler des dettes vis-à-vis du reste du monde ?

A. B : Nous pensons que le maintien des mécanismes d’endettement ne sera pas mis en cause par une pression des créanciers extérieurs. Le problème de « soutenabilité » des déficits des Etats-Unis prend deux formes : un risque monétaire et un risque financier. Au premier risque - le reste du monde acceptera t-il de détenir des actifs en dollars sans baisse profonde de la devise ? - nous estimons que la globalisation financière a fortement réduit la pression à la baisse du change en accroissant la taille des portefeuilles d’actifs internationaux. De plus, le rôle de la spéculation est le plus souvent stabilisateur. A la seconde question - pourra t-on longtemps prêter aux débiteurs américains, dans quelque monnaie que ce soit ? - nous pensons que cette contrainte extérieure a peu de chance d’apparaître. La solvabilité des résidents dont le bilan sert de support aux entrées de capitaux extérieurs est loin de pouvoir inquiéter. Les entreprises non financières ont fait depuis 2001 un gros effort d’assainnissement financier, les banques sont redevenues prospères et sont parmi les mieux dotées en capitaux propres et l’Etat fédéral a un endettement public (rapporté au PIB) comparable à celui de la moyenne des Etats européens.

Quel sera alors le frein au déficit extérieur américain ? Comment peut-il être réduit?

A. B : La dérive récente des déficits reflète surtout un endettement accru des ménages, leur solvabilité pose question. Fin 2006, cet endettement était soutenable parce que la plus grande partie des ménages a réalisé des dépenses de biens durables (immobilier) avancés sur des revenus à venir. Or, les capacités d’endettement des ménages sont maintenant saturées. Le rééquilibrage de la position extérieure des Etats-Unis se réalisera de l’intérieur par un atterrissage en douceur de l’économie (augmentation du loyer de l’argent associée à la hausse du prix de l’immobilier. Mais ce ralentissement ne sera pas suffisant pour réduire l’endettement sans un maintien du plein-emploi. Cet objectif n’est réalisable que si la demande extérieure prend le relais de la baisse de la croissance de la demande privée. Une baisse du change effectif du dollar est donc nécessaire.

L’économie américaine a atteint aujourd’hui la limite de sa capacité d’endettement. Pourra t-elle supporter d’autres chocs ?

A. B : En attendant que les ménages américains reconstituent leur marge d’endettement, la capacité de l’économie américaine a absorbé des chocs déflationnistes s’est considérablement rétrécie. S’il n’y a pas d’autres pays qui développent des capacités d’endettement du même type, l’économie mondiale sera plus vulnérable au choc déflationniste. Une nouvelle hausse du prix du pétrole n’aura pas du tout les mêmes conséquences que celles que nous venons de connaître. Au lieu d’être absorbé par un surcroît d’endettement des ménages américains, l’ajustement pourrait se réaliser par la baisse de l’activité donc par une récession. Dans cette perspective, un bras de fer entre autorités monétaires sur le cours des monnaies déstabiliserait la zone euro qui est très mal équipée pour soutenir sa monnaie. En l’absence de politique commune en direction du plein emploi et d’une meilleure intégration bancaire permettant la convergence des conditions d’endettement, la zone euro subirait de plein fouet la baisse organisée du dollar.